Restauration des marbres

Les marbres

« On entre dans un magnifique Temple dont la riche Architecture et le beau Marbre de toutes les espèces qui y est étalé de toutes parts, font un charmant aspect…Rien n’y échappe à la vûë, & tout y parit brillant à la faveur du jour… », Pierre-Lambert de Saumery, 1740.

 

L’origine géographique des marbres rouges et noirs qui participent tant à la réputation de l’église Saint-Loup reste toujours quelque peu imprécise, faute de données d’archives sur le sujet et d’analyse microscopique. Comme le signale Francis Tourneur, géologue, « les marbres rouges présentent des caractères variés, tant en textures et structures qu’en nuances de rouges et de roses, ce qui laisse supposer des origines multiples. Ce n’est guère étonnant au vu de la quantité et de la qualité des éléments qu’il a sans doute fallu fournir en des délais assez brefs. Les sources sollicitées semblent être Rance, pour seulement quelques éléments du chœur, alors que l’essentiel, tambours de colonnes et pilastres du chœur, montre l’aspect typique des productions de Saint-Remy à Rochefort. Quant aux noirs, ils sont plus difficiles à identifier. La présence de fossiles, localement abondants, dans les grosses bases de colonne de la nef, permet d’identifier sans aucun doute les bancs marbriers des « Calcaires de Meuse », autrefois exploités au Nord de Namur et de part et d’autre du fleuve, aux Grands-Malades et à Lives. Les éléments des pilastres sont d’un noir plus uniforme et pourraient provenir des gisements classiques de Mazy et de Golzinne. Seul l’examen microscopique de prélèvements permettrait de l’affirmer. Aucun de ces « marbres » n’est un « marbre vrai » au sens géologique strict du terme (roche entièrement cristalline de type métamorphique), mais bien des calcaires pouvant prendre un beau poli ».

 

Dès l’origine, les marbres de Saint-Loup furent polis et destinés comme tels à rehausser la luxuriance de l’ouvrage. La requête du recteur en 1639 signalait ces opera illa polita mais indiquait déjà que les marbres se détérioraient parce que l’édifice ne bénéficiait pas du clos et du couvert (marmora exceduntur).

La problématique du traitement des marbres ternis par les ans fut très complexe. Les solutions envisagées furent dépendantes des limites budgétaires imposées par le cahier des charges de 1977, en soi beaucoup trop laconique. Ce qui entraîna pas mal de problèmes.

La question fondamentale du degré de finition des marbres fut évoquée au sein de la Commission royale des Monuments, Sites et Fouilles qui définit comme objectif de ne pas forcer le polissage afin d’éviter une brillance excessive.

Dès 1979, des essais de traitement des marbres furent réalisés. Ils restèrent sans suite jusqu’en 1989, époque à laquelle d’autres essais, notamment par ponçage mécanique, s’avérèrent négatifs pour les marbres noirs, plus difficiles à traiter. Des essais de finition furent réclamés afin de redéfinir une technique adéquate qui garantisse au mieux la vivacité des surfaces et leur aspect satiné.

Mais en 1992, l’entreprise, contrairement aux essais entérinés et à l’insu de tous, recourut à l’emploi de l’huile de lin pour le traitement des marbres, ce qui leur donna une brillance excessive. Elle tenta de justifier ce procédé afin d’atténuer les différences de teinte des marbres noirs dus à l’absorption inégale de la cire traditionnelle.

Des avis furent alors pris auprès de différents spécialistes dont la convergence des avis négatifs sur l’emploi de l’huile de lin entraîna en 1994 le refus de réception des travaux de marbrerie.

Face à cette impasse et outre le problème de l’extraction de l’huile de lin, le débat sur les techniques à employer pour le traitement complexe des marbres fut relancé, de même que sur l’aspect esthétique à donner au résultat final : marbres brillants ou satinés. L’option satinée resta prépondérante.

Ce fut du reste l’avis de Fabrice Pierot, historien de l’art et sculpteur spécialisé dans la pierre, qui rappela que  « le rendu des marbres polis baroques se rapprochait d’un satiné hautement défini par une abrasion de plus en plus fine, entraînant l’absence de griffes et de traces pour tendre vers un velouté très doux dans la brillance naturelle de la pierre » . Cette abrasion nécessitait un ponçage mécanique dégressif, à sec, suivi d’un ponçage manuel à la potée d’émeri grise, avant le lavage et le lustrage à la cire microcristalline sur feutre souple. Mais les moyens pour y arriver s’avérèrent inapplicable financièrement.

En 1995, suite aux ultimes essais réalisés par l’IRPA, un accord se fit autour de la procédure suivante : nettoyage préalable, pose de cire microcristalline blanche en pâte, lustrage ; correction, là où c’est nécessaire, avec de la cire similaire mais noire selon dilution à doser, en sorte de «  foncer » les zones blanchâtres des marbres noirs. Cette solution avait l’avantage de rester en gros dans l’enveloppe budgétaire, de ne pas allonger le chantier et d’être réversible.

Le marbre rouge des puissantes colonnes baguées n’a malheureusement pas retrouvé complètement la vivacité et la profondeur d’un marbre poli, problème qui semble cependant avoir existé dès l’origine. Quant aux marbres noirs, ils révèlent, pour un œil averti, plusieurs défauts d’exécution.

Cependant, la scénographie générale, qui donne primauté aux marbres rouges et à la voûte, a retrouvé son intensité baroque, rehaussée par l’ensemble prestigieux de son mobilier exceptionnel.

 

Extrait de Thérèse CORTEMBOS, Sophie DENOEL, Alain de WINIWARTER et Robert LAMBERT, L’église Saint-Loup à Namur, Carnets du Patrimoine n°125, éd. Institut du patrimoine wallon, 2014.