XIXe siècle : la façade principale ou le journal d’une restauration réfléchie
Dès 1837, la Commission des Monuments avertit le ministre responsable de « l’état de dégradation dans lequel se trouve l’édifice ». C’est le début d’un long débat sur la philosophie d’intervention et sur les coûts de cette restauration. Après des propositions restées sans lendemain, la question resurgit en 1861 sur base du même débat philosophique, également présent dans les pays voisins, où les thèses d’un Viollet-le-Duc en France, ou d’un Ruskin en Angleterre cristallisent les pensées en présence : conserver-restaurer ou reconstruire, ici en l’occurrence à l’identique?
Si les deux hypothèses sont envisagées à Saint-Loup, il est clair que la volonté de la Commission des Monuments, à l’époque seule instance officielle responsable du patrimoine, a toujours été le respect du document original, le respect du travail du concepteur. Elle demande de « respecter les combinaisons adoptées par les maîtres anciens » c’est-à-dire la pierre bleue pour la plus grande partie de la façade et la pierre blanche pour les « pleins » ; de même concernant les sculptures à remplacer, un souci tout particulier doit être accordé quant au choix d’un « artiste ornemaniste » qui dirigerait l’atelier.
Entre 1862 et 1864, les deux options sont étudiées, chiffrées et comparées, avec des « aller-retour » sur les positions de chaque instance. Manifestement, le problème est délicat…Tout au long du projet, l’ambiguïté sera constante entre l’emploi des termes « restauration » et « reconstruction », ambiguïté traduisant probablement celle de la pensée.
En 1864, si les instances partagent en gros le choix d’une restauration, pour certains parce que moins chère, le curé Colot, quant à lui, panique à l’idée d’une nouvelle adjudication qui entraînerait un report des travaux. On sent l’implication du curé dans le projet de reconstruction, implication qui sera d’ailleurs immortalisée par une dalle toujours placée au fond de l’église et rapportant ce chronogramme : « CoLot paroCho,/ faCIes eCCLesIae/fUnDItUs/ feLICIter reaeDIfICata. » (1867) : « La façade de l’église fut réédifiée avec succès depuis son fondement par le curé Colot ». Et qui pose question quant à la notion de « restauration »…
Quoiqu’il en soit, en juin 1864, le projet est bel et bien lancé : l’architecte provincial Degreny établit métré et détail estimatif, plan et élévation de la façade, ainsi que le cahier des charges. Le 28 juillet 1864, l’adjudication est attribuée à Isidore Evrard, entrepreneur à Falisolle, seul soumissionnaire, pour un montant de 94.259fr. Détail amusant : il élira domicile chez le sieur Legrand, aubergiste Aux quatre fils Aymond à Namur !
Il ressort de la lecture du cahier des charges qu’il est prévu un démontage des parties dégradées et leur réédification avec de nouveaux matériaux. Bien qu’il semblait décidé d’employer la pierre des Ecaussinnes, le cahier des charges reste ouvert concernant cette décision : « quant à la provenance de la pierre calcaire bleue, il sera statué ultérieurement sur le lieu de la provenance ». Par contre, la pierre blanche est dite explicitement « pierre blanche de l’Oise nécessaire au renouvellement du parmant [sic] formant le nu du mur de fond de la façade ». De même, pour le remontage des maçonneries, il est clairement stipulé que cela concerne ce qui est « nécessaire pour la réédification des parties de la façade qui auront été démontées pour la restauration ». Des épures et modèles seront exécutés en grandeur nature par un modeleur, et ce pour les éléments moulurés et sculptés. Le cahier des charges prévoit également le remploi de pierres anciennes (surtout dans les colonnes), estimé à quelque 29m³. Détail étonnant : les ouvriers de l’entrepreneur habiteront dans le comble de l’église ; en conséquence, l’entrepreneur fera assurer toutes les parties de l’édifice sujettes à l’incendie !
Le chantier de démontage-remontage se terminera 3 ans plus tard, en 1867, un an avant les prévisions de l’adjudication, chose étonnante à l’heure actuelle! Cette « restauration » s’apparenta plus à une opération de reconstruction par « tiroir », mais il semble cependant que la solution adoptée fut moins radicale qu’une reconstruction pure et simple, et qu’elle veilla, de toute évidence, à respecter au plus près le document original.
Si les options théoriques sont parfois contredites par les réalités du chantier, puisque près de 90% de la façade semble avoir été reconstruite, on peut mettre en exergue les sages et difficiles décisions prises à l’époque, l’énergie des intervenants et la qualité du travail des ouvriers et des sculpteurs. Ceux-là ont permis de perpétuer cette façade qui participe fortement à la scénographie du lieu et qui cache un des joyaux les plus marquants de notre architecture baroque.
Extrait de Thérèse CORTEMBOS, Sophie DENOEL, Alain de WINIWARTER et Robert LAMBERT, L’église Saint-Loup à Namur, Carnets du Patrimoine n°125, éd. Institut du patrimoine wallon, 2014.